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Chômage partiel: la traque aux fraudeurs est lancée

La Confédération triple ses effectifs pour débusquer les cas d’abus aux RHT, qui ne cessent d’augmenter. Le coût de ces embauches atteint 25 millions de francs, grâce auxquels elle espère récupérer entre 80 et 100 millions

La somme en dit long sur l’ampleur du problème: la Confédération débourse pas moins de 25 millions de francs pour débusquer les fraudeurs au chômage partiel. Cette enveloppe, répartie sur trois ans, permet de tripler les capacités affectées aux contrôles, indique le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) dans un communiqué diffusé lundi. Elle s’ajoute au montant historique de 10 milliards de francs déboursé dans le cadre des RHT depuis le début de la pandémie.

«De mars à mai, une quarantaine de personnes externes au Seco ont été formées par le service de révision de l’assurance chômage (AC) et sont désormais opérationnelles dans toute la Suisse», précise le Seco. Ces collaborateurs externes sont employés au sein des cabinets d’audit EY et PwC. En équivalents temps plein, les effectifs dévolus à la lutte contre les abus passeront de 4,3 à fin 2020, à 17,9 pour 2021, puis à 21,2 l’an prochain.

La démarche est plutôt inhabituelle, «mais elle est souhaitable vu les circonstances», estime Gabriela Carrapa, du Contrôle fédéral des finances (CDF), où elle est responsable de mandats pour le Département fédéral des finances (DFI) et les assurances sociales.

Lanceurs d’alerte

Le nombre de dénonciations pour abus ne cesse en effet d’augmenter. A fin mai, le Seco a reçu près de 900 annonces, dont 399 ont été transmises par le CDF via sa plateforme pour lanceurs d’alerte mise en place en 2017, les autres via le portail travail.swiss. A cela s’ajoutent quelque 500 cas annoncés directement au service de révision de l’AC par les caisses de chômage. «Les abus concernent des entreprises de toutes tailles, tous secteurs confondus. Et les annonces proviennent de salariés de tous profils, y compris de cadres», indique au Temps une porte-parole du Seco, refusant de donner davantage de détails, notamment si elles concernent aussi des multinationales.

Les témoignages que Le Temps a pu recueillir se ressemblent, ils émanent de salariés fâchés de devoir travailler à plein-temps alors que leur employeur bénéficie des RHT. «Nous travaillons davantage, nous ne prenons pas de vacances. Nous sommes forcés de signer de faux plannings avec des horaires qui ne correspondent pas à la réalité», dénonce ce quadragénaire genevois, sous le couvert de l’anonymat. Un autre salarié neuchâtelois soupçonne que les sommes indûment perçues durant la crise ont servi à financer le leasing de la voiture de son patron.

Ils s’ajoutent aux récits anonymes recueillis dans notre enquête publiée l’été dernier. Ils concernent des entreprises trop petites pour être citées sans exposer les salariés à d’éventuels risques de représailles. En mars, la presse alémanique pointait l’entreprise Selecta, que ses employés accusaient de ne pas enregistrer parfois jusqu’à 50% des heures effectuées, pour percevoir des indemnités.

A fin mai, seuls 131 dossiers ont pu être vérifiés. Ces contrôles ont permis de débusquer 13 fraudes avérées. «Ces cas font automatiquement l’objet d’une plainte pénale», souligne le Seco, exposant les contrevenants à une peine pécuniaire de 180 jours-amendes au plus, voire une peine d’emprisonnement de 6 mois au plus. A cela s’ajoutent 97 cas identifiés comme des erreurs de la part de l’employeur. Au total, les audits ont permis d’exiger le remboursement de 10,6 millions de francs indûment perçus et «ce montant devrait croître ces prochaines semaines», espère Gabriela Carrapa. En engageant des renforts, le Seco compte récupérer entre 80 et 100 millions de francs.

Crises favorables aux abus

La Confédération a-t-elle été trop laxiste dans l’octroi de ces aides? «L’expérience montre que les périodes de crise favorisent la criminalité économique. Nous l’avons observé lors de la crise financière de 2008, mais aussi lors de catastrophes naturelles telles que l’ouragan Katrina en 2005», relève Olivier Beaudet-Labrecque de l’Institut de lutte contre la criminalité économique (ILCE) de la Haute Ecole de gestion Arc. «Il aurait été judicieux d’informer davantage les employés de leurs droits et de la possibilité de dénoncer ces abus, en amont des simplifications des procédures d’octroi», suggère le criminologue.

Ces démarches facilitées, notamment la dispense de fournir des décomptes d’heures individualisés, sont dans le viseur du CDF, et viennent pourtant d’être prolongées jusqu’à fin septembre par le Conseil fédéral. «Prévenir vaut mieux que guérir. Renoncer à la procédure sommaire ou mettre au moins quelques contrôles supplémentaires avant de payer permettrait de réduire les coûts de ces contrôles postérieurs, insiste Gabriela Carrapa. L’avenir montrera si ces nouvelles mesures de lutte contre les abus sont suffisantes.»

Le recours au chômage partiel tend à diminuer, sur fond de reprise économique. En mars, les RHT concernaient 340 953 personnes, soit 17,5% de moins qu’en février, selon les chiffres de l’emploi publiés lundi. Le nombre d’entreprises ayant recours à ces mesures a baissé de 13,6% à 44 593.

Article publié le 7 juin 2021 sur www.letemps.ch